Quel féminisme voulons-nous ?
par Salomé BouchéAbolir la pornographie c’est construire l’abolition du patriarcat.
La question de la pornographie aurait pu n’être qu’une problématique annexe au vaste enjeu de la domination patriarcale. Au sein de la diversité des mouvements féministes et progressistes, peu de militantes (et de militants) nient encore le caractère profondément misogyne d’une production qui représente aujourd’hui plus d’un tiers des données circulant sur internet. Les représentations sexistes, lesbophobes, transphobes et racistes véhiculées par ces images sont régulièrement dénoncées, comme la violence extrême des rapports représentés. Au sein du débat public, la représentation pornographique est régulièrement traitée sous la question de la protection de l’enfance et de la facilité d’accès à des images dégradantes et choquantes. Les politiques et commentateurs pointent la difficulté à légiférer face à la diffusion massive d’images hébergées sur des plateformes internationales inaccessibles à la loi française. Derrière les images, de nombreux faits divers dévoilent l’horreur subi par des « actrices » victimes de réseaux mafieux et de la traite d’êtres humains. La production pornographique française n’est pas en reste : l’émergence d’un marché « amateur » a permis le développement d’une production peu couteuse et extrêmement rentable pour les industries. L’exemple du site « Jacquie et Michel » fait ici cas d’école : derrière l’image d’un porno amateur drôle et bon enfant, d’anciennes actrices témoignent de faits de viol et de proxénétisme. Une enquête a été ouverte par le parquet de Paris à l’été 2020. Le film pornographique est également un outil direct d’humiliation des femmes : avec la facilité d’accès aux sites et plateformes porno, de nombreuses femmes découvrent des photos et vidéos intimes, réalisées avec ou sans leurs consentements, diffusées sur internet par d’anciens conjoints, amis… Le terme anglophone « revenge porn » s’impose dans le débat public français jusqu’à donner lieu, en 2016, à un approfondissement des sanctions à l’encontre de la diffusion de vidéos privés à caractère sexuel.
L’enjeux de la pornographie est ici double pour les militantes et militants féministes. Derrière la question du développement d’un imaginaire de violence sexuelle à l’encontre des femmes, se constitue également celle de la réalité d’« actrices » torturées, violées, maltraitées, exploitées pour les besoins d’une industrie masculiniste ou d’un acte de violence sexiste. Par les images produites comme les violences qu’elle perpétue, l’industrie pornographique représente aujourd’hui l’apogée d’un système de domination et d’exploitation des femmes. Ainsi, l’abolition de la pornographie est intimement liée à l’histoire du mouvement féministe. Le paroxysme de ce combat serait surement à trouver chez les théoriciennes et militantes du féminisme radical états-uniens. Menées par Andrea Dworkin et Catharine A. Mackinnon elles déposent dans les années 1980 une série d’ordonnances visant à interdire la production et diffusion pornographique. En 1993 la première écrit : « Il y a une cruauté qui vous dit que vous ne valez rien comme être humain. Il y a une cruauté qui dit que vous existez comme objet sur lequel il s’essuie le pénis, c’est ce que vous êtes, ce à quoi vous servez. Je dis que déshumaniser une personne est cruel et que ça n’a pas à être violent pour être cruel. ». Au-delà des violences spécifiques c’est bien la pornographie comme système de rabaissement, d’humiliation et de domination des femmes qui est dénoncé.
Malgré cet état des lieux le mouvement féministe reste profondément divisé sur la question de l’abolition de la pornographie. De nombreux groupes, militantes ou théoriciennes soutiennent une émancipation possible des femmes par une production pornographique dite « féministe ». Se développe l’idée d’une représentation porno de la sexualité sous les nouveaux biais, cette fois « progressistes », de l’appropriation d’une image sexuelle par les propres « concernées » par les violences de cette industrie. On oppose alors un « mauvais porno » représentant une sexualité hétérosexuelle violente à un « bon porno » diffusant cette fois des représentations variées et plurielles de la sexualité, respectueuse des femmes et des minorités de genre. Ces espaces, largement minoritaires au sein de l’industrie porno, insiste sur l’aspect éthique de leurs productions notamment par la rémunération des actrices et acteurs et de « bonnes conditions de travail ». Alors même que les revendications féministes prennent une ampleur de plus en plus large au sein du mouvement social, les militantes et militants du MJCF ne peuvent se permettre de perdre de vu la violence intrinsèque à toute production pornographique : celle de la marchandisation des corps et du rapport sexuel. L’abolition du patriarcat exige l’abolition des violences qui aliènent les corps des femmes pour les soumettre aux dictats du désir masculin. L’abolition du patriarcat exige une émancipation réelle de sexualités non contraintes par des rapports d’argent ou de pouvoir. L’abolition du patriarcat exige une émancipation féminine dans tous les espaces de la société et pas la promesse illusoire d’une libération de corps devenus marchandises. Le Mouvement des Jeunes Communistes de France ne pourra participer pleinement au combat pour l’abolition du patriarcat qu’en revendiquant sans ambiguïté l’abolition totale de la pornographie.
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