Comment mener le combat antiraciste ?
par Corentin ChaparteguiIntersectionnalité et marxisme
Avant d’entreprendre toute prise de position du MJCF sur la question de l’intersectionnalité, il faut préalablement savoir ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas.
Théorisée par Kimberlé Crenshaw, l’intersectionnalité est un concept sociologique qui met en avant une réalité que les faits démontrent : chaque personne s’inscrit dans plusieurs cercles d’identité sociale et certaines cumulent les défaveurs sociales. Ainsi une société dans laquelle se conjuguent racisme et sexisme, une femme noire subit dans ses relations sociales, des défaveurs en raison de son genre et de sa couleur de peau. L’intersectionnalité, c’est ainsi un outil sociologique pour estimer avec plus de justesse, les différentes considérations qui s’imposent par l’appartenance à plusieurs identités sociales. L’intersectionnalité permet d’étudier dans un contexte donné, les rapports sociaux d’une identité sociale. Comprendre les rapports inégalitaires, leur origine, leur impact, c’est savoir comment les résoudre.
L’intersectionnalité comme tout concept, subit des dérives et un mésusage notamment des milieux profanes. Faute d’une compréhension et d’une mesure suffisantes, d’aucuns ont élevé ce concept sociologique en concept politique, en oubliant une bonne part de vérité au passage. Kimberlé Crenshaw leur répondra sèchement : « Il y a eu une distorsion [de ce concept]. Il ne s’agit pas de politique identitaire sous stéroïdes. Ce n’est pas une machine à faire des mâles blancs les nouveaux parias ». Autre point important à préciser, l’auteure inscrit toujours ses recherches dans un contexte social particulier et ne fait qu’étudier des relations dans ce contexte ; ses conclusions ne sont donc valables que dans ce contexte et elle le sait pertinemment. Toute tentative de réification est une « distorsion » ; de la même manière que le marxiste qui, voit dans l’action des bourgeois du XVIe siècle du conservatisme et de la réaction, commet une « distorsion » de la pensée de Marx. Tout autant que celui-ci qui réifie l’analyse de classe et pense qu’elle seule peut le maintenir sur le chemin de la vérité. L’analyse de classe explique les oppressions que l’économie justifie, non celles que la culture invente.
Bien que les défenseurs de la « distorsion » intersectionnelle soient plus souvent mis en avant et entendus que les sociologues qui utilisent raisonnablement l’intersectionnalité pour forger leurs études, il ne faut pas tomber dans le piège grossier de cette caricature qui ne tend qu’à dissimuler ces études, qui mettent en lumière le racisme et le sexisme, notamment de la société capitaliste étasunienne. Nous avons, au contraire, intérêt à défendre l’intersectionnalité comme clef d’analyse pour comprendre ce que subissent les populations les moins favorisées, afin de former nos revendications.
L’intersectionnalité est un concept qui met en lumière certaines formes d’oppressions que provoquent autant d’ennemis du communisme que le capitalisme, la réaction, le fanatisme, le racisme, etc. Des formes différentes d’oppression que celles qu’offre à voir une analyse marxiste orthodoxe. Rien de plus normal : le marxisme se nourrit des sciences – notamment humaines – pour forger son analyse, et avant que le concept intersectionnel soit théorisé, c’était d’autant d’exactitude dont se privait notre analyse. Le marxisme suppléé de l’intersectionnalité ne peut que renforcer nos convictions et compléter nos moyens de parvenir à la libre détermination de l’individu, puisque l’intersectionnalité permet d’observer toutes les relations sociales qui entravent cette libre détermination.
L’intersectionnalité enrichit le marxisme et doit nous renforcer dans notre capacité à nous adresser aux masses, à leur parler de leur problème et à leur soumettre des solutions.
D’aucuns diront que l’intersectionnalité peut mener à ce que les minorités aient plus d’intérêts à s’engager auprès de candidats de leur « particularisme ». C’est prendre le problème du mauvais bout et commettre un terrible anachronisme. Si des minorités préfèrent une organisation « particulariste » à la nôtre, ce n’est pas parce que nous aurions une analyse intersectionnelle, mais au contraire parce que nous n’en aurions pas et que nous aurions un discours, des propositions, des revendications et une analyse dont elles sont exclues.
Le Black Panther Party, le Women’s Lib ou le Gay Liberation Front n’ont pas attendu que l’intersectionnalité soit théorisée en 1998 pour s’organiser, au contraire c’est plutôt au regard des situations qu’ils présentaient que l’intersectionnalité s’est développée pour les comprendre, pour les entendre et pour que leurs revendications soient aujourd’hui faites écho par toutes les bouches, et notamment les nôtres, communistes.
Plutôt que craindre de diviser le prolétariat en adoptant une analyse qui considère les problèmes de toutes les personnes qui subissent une oppression, il vaudrait mieux comprendre que c’est en ignorant leurs défaveurs qu’elles auront plus d’intérêt à rejoindre une organisation qui les comprend, les estime et les défend.
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