Faut-il revendiquer un service militaire ?
par Pierre BioretPeut-on revendiquer un service militaire obligatoire ?
Il me semble essentiel, pour introduire cette contribution, d’en expliquer le titre : l’objet de ma contribution n’est pas tant de remettre en question l’utilité éventuelle du service militaire obligatoire que l’intérêt pour les communistes d’en faire, dans le contexte actuel, une revendication. Je précise d’emblée que je suis, dans l’absolu, pour le service militaire obligatoire. Le sujet ne doit cependant pas être traité dans l’absolu, mais en réponse à un état de la société.
Il me semble peu approprié de débattre ici des intérêts individuels (dépassement de soi, esprit d’équipe et solidarité, culture physique, etc.) que chaque soldat peut trouver dans une formation militaire, obligatoire ou non : la question de l’obligation du service militaire doit se poser en tenant compte du rapport de force politique, et c’est avant tout un enjeu collectif.
Par conséquent, aborder le sujet du service militaire obligatoire doit nous inviter à nous demander à quels intérêts répondrait sa mise en place. Service national par excellence, il semble que le premier de ces intérêts est celui de la France en tant que nation, dans une réflexion stratégique de défense du pays.
Deux problèmes se posent dès à présent. Le premier, relativement bénin, est lié à la nature de la guerre et de la manière de défendre le territoire national : de nos jours, les conflits sont déterminés principalement par la technique (que ce soit le développement du matériel ou la formation des soldats) et plus tellement par le nombre de soldats mobilisables. Le service militaire, s’il devait être une réelle formation au métier des armes, adaptée à la réalité actuelle du métier, serait ainsi un investissement fort onéreux, pour intégrer chaque année des milliers de jeunes, sans que cela ne vienne changer profondément la capacité de la France à assurer la protection de son territoire. Le deuxième problème est plus important, et doit nous interpeller en tant que communistes : le service militaire permet effectivement, s’il est mené intelligemment, d’instaurer un lien de confiance entre les appelés et la nation. Toutefois, dans une nation capitaliste telle que la France, nous ne devons pas oublier que les intérêts de la nation auxquels est censée répondre l’armée sont avant tout les intérêts de la bourgeoisie française, classe dominante, qui détermine la politique de l’Etat. En témoignent les différentes opérations extérieures passées ou actuelles menées par le France.
Devant cet état de fait, quel serait l’impact immédiat d’un service militaire obligatoire pour les jeunes, quelle que soit sa durée ? Ce qu’il reste de l’ancien service militaire (JAPD puis JDC), ou encore le SNU, constitue une ébauche de réponse : il s’agit de temps de formatage prétendant promouvoir les valeurs de la République, mais faisant surtout un travail de propagande impérialiste. En conséquence, mettre en place un service militaire obligatoire consisterait avant tout à mettre entre les mains des forces réactionnaires une arme formidable : la jeunesse. Ce serait donc une erreur stratégique de revendiquer, immédiatement, la mise en place du service militaire obligatoire pour toutes et tous, car cette revendication serait dévoyée, et le résultat très loin des attentes que nous pourrions avoir sur le sujet (notamment sur le contenu de la formation des conscrits).
Par ailleurs, une dernière question se pose : pourquoi l’armée ? De tous les corps du service public, c’est le seul pour lequel il existe une question sur l’instauration d’un service obligatoire, alors que ce service pourrait avoir autant de sens (en terme d’engagement), et certainement une utilité accrue, chez les pompiers, par exemple. De la même manière, pourquoi serait-ce à l’armée de faire le bilan d’éducation ou de santé d’une classe d’âge, quand d’autres services publics semblent plus compétents sur la question ? A nouveau, en l’état actuel des choses, revendiquer un service militaire obligatoire dès à présent, peu importe sa durée ou même le programme, ne servirait pas nos intérêts de classe, ce qui ne veut pas dire que sous le socialisme, le service militaire est à bannir.
Cela ne doit pas nous empêcher non plus de mener une réflexion plus large sur les forces armées en France : le sujet est peu traité par les organisations progressistes, et est pour ainsi dire laissé aux réactionnaires. En parallèle, parmi les principales raisons aujourd’hui pour rentrer dans l’armée, on trouve un nationalisme naissant, qui est exacerbé une fois le recrutement effectué. Cela ne doit pas nous faire oublier une autre raison, qui est déterminante dans la composition actuelle de l’armée : la question sociale. En effet, faute de débouchés professionnels dans d’autres secteurs, nombre de jeunes s’engagent, souvent avec la volonté de venir en aide à son prochain, de défendre un intérêt collectif, etc. Cette volonté est régulièrement déçue : il suffit d’observer que le recrutement de l’armée est permanent, et ne parvient pas à compenser les départs, du fait, entre autres, que les valeurs républicaines que nous vendent les campagnes de recrutement ne tiennent pas longtemps face à la réalité de l’impérialisme et aux conditions de travail (et de vie) difficiles.
C’est plutôt dans ces conditions de travail actuelles que je conçois un rôle pour le MJCF : privée de syndicat, l’armée est un secteur rassemblant énormément de jeunes, et où la lutte des classes est par ailleurs des plus visibles (la hiérarchie militaire étant avant tout une conséquence de l’origine sociale). Peut-être est-il temps pour le MJCF de porter quelques revendications à destination des soldats, permettant de répondre à la fois aux difficultés qu’ils rencontrent (droit du travail tout relatif, problèmes d’équipement, de représentation, etc.) et à l’impérialisme dont ils sont l’outil (et souvent assez consciemment). Une telle dynamique permettrait, avec toutes les limites que cela peut comporter, aux soldats de se politiser autrement qu’auprès des réactionnaires.
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